Dossier Juillet 2025 : « Maladies hépatiques : le déclencheur peut être vos dents »
Bien que la dentisterie ait toujours fait partie intégrante de la communauté médicale, la santé bucco-dentaire a longtemps été considérée comme un problème de santé secondaire. Cette conviction s’est toutefois avérée erronée devant un flot constant d’articles traitant des liens bidirectionnels entre la santé bucco-dentaire et la santé globale. Un discours de plus en plus convaincant suggère que la santé de la cavité buccale est intimement liée au fonctionnement global de divers systèmes corporels, notamment du foie.
En effet et après avoir mis en évidence les relations entre la parodontite, le diabète et les maladies cardiovasculaires, la recherche scientifique se penche sur les répercussions des maladies du foie dites “hépatiques” sur la santé bucco-dentaire et vice versa. Les récentes avancées dans ce domaine ont révélé le lien significatif entre la maladie parodontale – communément appelée maladie des gencives – et les maladies hépatiques chroniques, comme la cirrhose et la maladie stéatosique du foie associée à un dysfonctionnement métabolique MASLD (anciennement NAFLD). Ce constat n’est peut-être pas la première chose qui vient à l’esprit. Pourtant, il est démontré qu’une fonction hépatique altérée par une maladie, comme une hépatite, une cirrhose ou une stéatose hépatique, peut déclencher une cascade de problèmes de santé. Ces effets peuvent s’étendre à la bouche, entraînant des pathologies affectant les dents, les gencives et l’environnement buccal en général et inversement.
Toutes ces conclusions – détaillées dans le dossier de ce mois-ci – incitent certes à la promotion d’une hygiène bucco-dentaire rigoureuse à tout âge, de la première dent de lait à la troisième. Cela implique non seulement un brossage minutieux à domicile, mais aussi des visites régulières chez le dentiste. Mais en parallèle, elles devraient également remettre en question les idées reçues concernant l’isolement des différents systèmes corporels et prôner une compréhension plus intégrée de la santé.
À l’occasion de la Journée mondiale contre l’hépatite, le 28 juillet, explorons comment les maladies du foie peuvent impacter votre santé bucco-dentaire, pourquoi il est important de comprendre ce lien et quelles mesures prendre pour préserver votre santé et bien-être.
Comprendre le lien entre le foie et la santé bucco-dentaire
La maladie parodontale, notamment sa forme avancée appelée parodontite, résulte principalement d’infections bactériennes affectant les structures molles et dures qui soutiennent les dents. Classée comme maladie inflammatoire chronique, elle demeure l’un des problèmes de santé les plus répandus dans le monde. Les facteurs influençant la gravité des maladies des gencives vont du tabagisme et de la consommation d’alcool à un accès insuffisant aux soins dentaires. Le problème se pose lorsque les personnes atteintes de maladies hépatiques chroniques présentent souvent des problèmes de santé bucco-dentaire concomitants, souvent négligés par leurs problèmes médicaux existants. Une telle négligence pourrait avoir des conséquences considérables notamment chez les patients prédisposés aux maladies hépatiques.
Dans ce cadre, la recherche met en évidence l’implication multiforme de la parodontite dans l’aggravation des maladies hépatiques, via ce que l’on appelle « l’axe oro-intestin-foie ». Ce terme désigne les relations complexes entre les bactéries buccales, le microbiote intestinal et les fonctions hépatiques. Les agents pathogènes buccaux peuvent pénétrer dans le tube digestif, voire s’infiltrer dans la circulation sanguine, lors d’activités banales comme la mastication ou le brossage des dents. Une fois ces microbes nocifs arrivés dans l’intestin, ils peuvent perturber l’équilibre fragile du microbiome intestinal, entraînant une dysbiose, caractérisée par une perméabilité intestinale accrue, autrement appelée « intestin perméable ».
Cette altération de la santé intestinale peut avoir des conséquences désastreuses, car elle facilite la translocation de produits bactériens nocifs, comme les endotoxines, vers le foie, où ils peuvent précipiter des réponses inflammatoires et une fibrogenèse ultérieure. À l’appui de cette théorie, des études menées sur des modèles animaux ont confirmé l’implication de pathogènes parodontaux spécifiques, tels que Porphyromonas gingivalis, dans des affections aggravantes comme la stéatose hépatique et l’inflammation, établissant ainsi un processus biologique plausible de translocation des cavités buccales vers le système hépatique.
La réponse immunitaire complique encore cette interaction. L’inflammation parodontale persistante s’accompagne de la libération de cytokines pro-inflammatoires, notamment le facteur de nécrose tumorale alpha (TNF-alpha) et l’interleukine-6 (IL-6), régulièrement impliquées dans la progression des pathologies hépatiques. De plus, un sous-ensemble spécifique de cellules immunitaires, les cellules Th17, activées par les bactéries buccales, semble migrer vers le foie, amplifiant ainsi le dysfonctionnement métabolique. Cette synergie entre maladie bucco-dentaire et santé hépatique peut créer un cercle vicieux : à mesure que la maladie hépatique progresse, la santé bucco-dentaire se dégrade, tandis que l’inflammation buccale chronique peut aggraver les lésions hépatiques.
De nouvelles données cliniques renforcent cette association. Des études révèlent que les patients atteints de cirrhose présentent une santé bucco-dentaire significativement moins bonne que la population générale, se manifestant par une incidence accrue de prolifération gingivale, de perte d’attache et de diminution de la densité osseuse. Des études observationnelles indiquent que jusqu’à 72 % des patients en liste d’attente pour une greffe du foie présentent une forme de maladie parodontale. Il est inquiétant de constater qu’une maladie parodontale sévère a été associée à une réduction des taux de survie chez les patients atteints de cirrhose, soulignant ainsi les répercussions importantes de la négligence en matière de santé bucco-dentaire chez les personnes souffrant de maladies hépatiques.
De même, le lien entre la santé parodontale et les personnes atteintes de MASLD est particulièrement remarquable. Des études ont montré que les personnes atteintes de parodontite avancée présentent un risque accru de développer également une MASLD, une corrélation qui persiste même après contrôle des facteurs de risque courants tels que l’obésité et le diabète. Un essai clinique de petite envergure, où des participants recevant des traitements parodontaux ont constaté une amélioration à court terme de leurs taux d’enzymes hépatiques, est particulièrement intéressant. Ce projet offre un aperçu intéressant des possibilités de reconnaître et d’améliorer cliniquement la fonction hépatique grâce à des interventions ciblées en santé bucco-dentaire.
En conclusion, la recherche dans ce domaine d’étude encore à ses débuts. Une grande partie des données cliniques proviennent d’études observationnelles qui ne permettent pas d’établir clairement les relations de cause à effet. De plus, il est difficile de distinguer les facteurs liés au mode de vie et les facteurs socioéconomiques qui influencent la santé bucco-dentaire et hépatique.
Néanmoins, la plausibilité biologique, la cohérence des résultats et les données d’intervention préliminaires plaident en faveur d’une attention accrue portée aux dents et aux gencives des patients atteints d’une maladie hépatique. Une collaboration plus étroite entre les différentes disciplines médicales impliquées dans la gestion de ces problèmes de santé pourrait aussi conduire à un diagnostic plus précoce et à une meilleure prise en charge.
Maladie du foie gras et santé bucco-dentaire : les associations réciproques
La stéatose hépatique métabolique MASLD (appelée dans le langage courant « foie gras » non alcoolique) est une maladie associée au syndrome métabolique (obésité abdominale, cholestérol élevé, diabète, hypertension artérielle, etc.). Touchant environ 27 % de la population mondiale, elle se caractérise par une accumulation de graisses dans le foie, en dehors de toute consommation excessive d’alcool. Un mauvais fonctionnement du foie affaiblit le système immunitaire, ce qui rend plus difficile la lutte contre les infections, notamment buccales. Inversement, une mauvaise hygiène bucco-dentaire peut être associée à la MASLD, et à un dysfonctionnement métabolique. Comprendre le lien réciproques entre la stéatose hépatique et la santé bucco-dentaire est essentiel non seulement pour conserver un sourire éclatant, mais aussi et surtout pour la santé globale de la personne.
Hépatite C et santé bucco- dentaire: le lien inaperçu
L’infection par le virus de l’hépatite C (VHC) est un problème de santé publique majeur malgré l’existence de traitements médicaux. A l’échelle mondiale, on dénombre plus de 170 millions de patients chroniquement infectés, et plus d’un million de nouvelles infections chaque année. La maladie est principalement connue pour son impact sur la fonction hépatique, mais sa nature systémique signifie que ses effets peuvent être considérables, y compris au niveau de la cavité buccale.
Le lien entre la maladie parodontale et l’hépatite C est l’inflammation. Elle peut entraîner des problèmes de santé bucco-dentaire importants comme la maladie des gencives (parodontite). La parodontite chronique peut aggraver l’inflammation du foie et inversement. Elle provoque une inflammation systémique, qui peut aggraver un foie déjà affaibli et potentiellement aggraver les symptômes de l’hépatite.
D’autres affections peuvent également survenir comme la carie dentaire, le lichen plan buccal (affection inflammatoire qui touche les muqueuses de la bouche) et le syndrome de Sjögren (maladie auto-immune qui inhibe la production de salive et provoque une sécheresse buccale).
Infographie : Hépatite : ce fléau mondial
Afin de mieux faire connaître la maladie, Sihatitv.ma (STV) publie une infographie sur les principaux faits et chiffres de l’hépatite à l’occasion de sa journée mondiale.
